"Ces derniers jours, dans la presse locale, il est beaucoup question du devenir du carreau Rodolphe situé à coté de l’Ecomusée. Ce carreau minier a cessé ses activités en 1976, il y a donc 32 ans. Depuis la voie rapide reliant Mulhouse à Guebwiller l’automobile ne voit que furtivement une vielle friche minière dont l’aspect, loin des canons de la modernité, ne retient souvent pas le regard. Mais pourtant derrière cette vue austère se cache une formidable histoire d’hommes et de technologies industrielles lesquelles ont contribué à l’évolution de notre économie locale et, tout simplement, à l’évolution de notre niveau de vie. Il est question de raser le bâtiment de la machine d’extraction du puits Rodolphe I. Son histoire mérite d’être relatée et de réfléchir avant l’irréparable. Evolution des machines d’extraction à travers les âges L’histoire des mines est étroitement liée à celle de la civilisation. On retrouve des vestiges de mines aux époques très anciennes de l’Égypte et de la Chaldée. Très longtemps, les techniques minières étaient restées très primitives.
Pour remonter le minerai dans les puits on se servait de treuils actionnés manuellement ou par la force animale. A l’instar des manufactures, l’avènement de la machine à vapeur va bouleverser les systèmes d’extraction dans les mines. On vit apparaître, mues par la vapeur, des machines à tambours pour treuiller le minerai des puits de mines. En France, la première machine d’extraction, fonctionnant à la vapeur, est apparue en l’an 1800 dans les houillères de Littry (Calvados). L’application de l’électricité à l’industrie voit le jour à la fin du XIXème siècle. En 1892, un américain, Harry WARD- LEONARD (1861- 1915) invente un système de moteur à vitesse variable qui prendra son nom. Initialement utilisée sur les laminoirs de l’industrie métallurgique, la première machine d’extraction électrique équipée avec une « boucle Ward-Léonard » n’apparaît qu’à l’aube du XXème siècle, en 1902. La mise au point de ces machines nécessite encore deux décennies avant d’atteindre vraiment un degré de fiabilité et de sécurité. Application des Techniques électriques aux Mines de Potasse en Alsace Le bassin potassique alsacien est découvert en 1904.
La première mine de potasse, Amélie à Wittelsheim, entre en activité en 1910. Trois sociétés minières allemandes privées se partagent le bassin potassique soit dix concessions minières de 2200 hectares chacunes.. Au nord du bassin, un groupe d’investisseurs franco-alsaciens détient trois concessions : Alex, Rodolphe et Ensisheim. Leurs investisseurs créent la société minière de Kali Sainte Thérèse connue sous le sigle de KST. A partir de 1911, commencent, pour les sociétés allemandes, les fonçages des Puits Amélie 2 et Max, Joseph et Else, Marie et Marie-Louise, Reichsland est et ouest ( Fernand à partir de 1919), Théodore et Prince Eugène, Anna est et ouest. A KST, on creuse les puits Alex, Rodolphe, Ensisheim I et Ensisheim 2. Or pour tous ces puits et pour mouvoir les machines d’extraction, il faut choisir entre la vapeur ou l’électricité. En 1910, le puits Amélie est séparé en deux. Deux cages (en terme minier ascenseur des puits) sont mues par une machine à vapeur et deux cages sont mues par une machine électrique. Ainsi les risques en cas de panne sont partagés. Notons que l’électricité nécessaire sur le carreau Amélie est produite par une centrale à vapeur laquelle bien sûre alimente aussi la machine d’extraction à vapeur. A leur mise en activité, la mine Joseph-Else est équipée d’une machine d’extraction à vapeur à Else et une machine électrique à Joseph. Il en sera de même pour Reichsland Est équipé électriquement et Reichsland Ouest équipé avec une machine à vapeur. On peut constater que les sociétés allemandes n’ont pas opté spontanément pour des équipements électriques. D’autre part, la réalisation de ces machines a été commandée à des constructeurs allemands, Siemens-Schukert et à AEG. A KST, du coté franco-alsacien, on commande trois machines d’extraction électriques à la Société Alsacienne de Construction Mécanique ( SACM) à Mulhouse. Durant l’annexion à l’Allemagne (1971 à 1918) la SACM avait pris le nom de « Elsaesschische Maschinen Gesellschaft » (EMG). Seule la filiale électrique de la société mulhousienne à Belfort a gardé le nom de SACM. En 1920, une 4ème machine est commandée à la SACM pour le puits Ensisheim 2.
En 1910, le directeur de KST, Fernand VOGT, ose donc faire l’impasse sur l’énergie vapeur et opte pour le tout électrique pour les machines d’extraction. Le pari est encore risqué mais s’avèrera par la suite avisé et judicieux. Notons aussi que ces machines sont équipées de poulies entraînant le câble d’extraction nommées poulies Koepe du nom de son inventeur en 1877. En 1912, deux machines d’extractions identiques voient le jour à Alex et à Rodolphe. Elles entrent en activité l’année suivante. La machine d’extraction de Rodolphe I est donc le dernier vestige de quatre machines d’extraction ayant fonctionné durant des décennies. Mieux, elle est, grâce à l’ingéniosité et grâce au travail de bénévoles, de nouveau en état de marche ! Sa restauration, effectuée de 1994 à 1996, a nécessité quelques 6000 heures de travail. Un ancien ingénieur des mines, Alfred Windenberger, décédé en 2007, est à la base de cette réalisation. En effet, grâce à ses calculs et ses idées la machine fonctionne avec relativement peu de puissance – environ un dixième de sa puissance nominale de 404 Kilowatts - tout en gardant intégralement le système de vitesse variable mis au point par Ward Léonard en 1892. Cette machine est à elle seule un monument de notre patrimoine industriel et de son évolution. Elle renferme aussi une partie de l’histoire industrielle fort méconnue de la SACM .
Depuis 1996, sur le carreau Rodolphe, elle est l’une des attractions principales, très appréciée du public."